galerie denise rené
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espace et tension 

une sélection d'artistes contemporains

du 12 décembre au 7 mars 2020

 

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L’exposition « Espace et Tension » qui se tient à la galerie Denise René propose un regard sur la scène abstraite contemporaine en réunissant seize artistes internationaux : Tony Bechara, Anne Blanchet, Elias Crespin, Knopp Ferro, Emanuela Fiorelli, Gun Gordillo, Hans Kooi, Martina Kramer, Anne Lilly, Carlos Medina, Christian Megert, Pe Lang, Olivier Ratsi, Étienne Rey, Ines Silva et Jong Oh. Leurs œuvres, d’une géométrie minimale et épurée, déploient des dispositifs plastiques qui intègrent la notion de tension en désignant l’espace comme un champ d’action, générateur d’énergie, de vibrations, de forces multiples et opposées. Sollicitant chez le spectateur une dynamique perceptive, elles le conduisent à saisir la complexité de la réalité qui se situe entre ordre et chaos, visible et invisible.

 

Totalement immersive, l’installation de l’artiste français Olivier Ratsi plonge le spectateur dans le monde de la réalité virtuelle. Xyz (2019) repose sur une confrontation entre l’espace réel - celui du lieu où se tient la vidéo - et l’espace perçu, qui est constitué de dispositifs optiques complexes élaborés par l’artiste. Ces derniers consistent en la projection de lignes lumineuses blanches, alternativement verticales et horizontales, et qui défilent dans l’obscurité de sorte qu’elles donnent l’impression de contrer l’espace architectural de la pièce. Dans ce lieu déconstruit artificiellement, où les dimensions spatiales et volumétriques sont ébranlées, le spectateur est invité à s’interroger sur son rapport au réel. L’œuvre devient une sorte d’interface, un lieu intermédiaire dépourvu de limite matérielle où une nouvelle réalité peut à tout moment surgir.

La mise à l’épreuve de nos repères spatio-temporels est également au cœur du travail de Christian Megert, bernois d’origine mais dont l’essentiel de la carrière s’est déroulé en Allemagne. Le miroir est le support privilégié de ses recherches menées depuis les années 1960 autour de la notion d’instabilité, notamment dans le cadre du groupe Zero.

Pour Megert, le miroir constitue le médium le plus adapté à l’élaboration d’un nouvel espace : « Si vous opposez un miroir à un autre miroir, vous trouverez un espace sans fin et sans limite, un espace aux possibilités illimitées, un nouvel espace métaphysique » déclarait-il dans son manifeste en 1961. L’artiste, qui a aussi réalisé des environnements immersifs, a mis au point un type d’œuvre dans les années 1970 qui explore la capacité du miroir à susciter une sensation d’infini. Ainsi, Light object – endless room (1972), associant miroir, verre et néon, par le rapport frontal qu’elle engage avec le spectateur, aspire littéralement son regard, l’entraîne de l’autre côté du miroir dont il devient prisonnier. Les «Light box» de Megert, qui a su en décliner avec efficacité les effets de déstabilisation visuelle, ont marqué des générations d’artistes.

Étienne Rey cherche à susciter un trouble optique et sensoriel en concentrant ses recherches sur les phénomènes lumino-chromatiques. Ses Prismes, structures spatiales triangulaires suspendues aux parois transparentes et colorées, invitent le spectateur à en faire le tour pour en découvrir tout le potentiel. Ces déplacements, à travers le jeu d’interpénétration visuelle des parois, entraînent une démultiplication des points de vue et la perception d’un espace chromatique mouvant. Par cette approche phénoménologique de l’œuvre, Étienne Rey met en jeu ce qu’il appelle la notion de « coexistance » spatiale et tente d’appréhender l’impalpable, comme il le déclare : « Dans cette relation entre l’espace et nous-même je suis à la recherche de mécanismes invisibles ».

L’installation Fragment de pluie immersif (2019) de l’artiste vénézuélien Carlos Medina ouvre également l’œuvre d’art aux expériences de l’espace et du corps. Cette installation in situ, à la géométrie sobre et minimale, intervient directement dans l’architecture de la galerie. Correspondant à une orientation majeure de Carlos Medina vers l’essentiel et l’imperceptible, Fragments de pluie se constitue d’une quantité de petites gouttes en aluminium massif, rattachées à une profusion de fils de nylon orientés dans le vide. Comme suspendues dans le temps, les gouttes de pluie pénètrent et activent l’espace avec dynamisme, suivant des inclinaisons verticales et obliques. Cette installation est emblématique de la démarche de Carlos Medina qui, depuis le milieu des années 1980, s’intéresse au monde des phénomènes en mettant en scène l’équilibre des forces physiques afin que nous puissions entrer en contact avec le « mystère profond de la nature ».

Non moins intenses, les mobiles électrocinétiques d’Elias Crespin défient les lois de l’apesanteur avec le déploiement souple de leurs structures géométriques qu’il a pour la première fois mêlées à des fils de laine (La danza de las catenarias, 2019). Ces derniers se rattachent aux extrémités de chacun des tubes d’aluminium, définissant ainsi ce qu’on appelle « la courbe caténaire », que l’artiste vénézuélien (qui a été dans une autre vie ingénieur en informatique) apprécie pour sa beauté et son caractère mathématique simple. Par cette association inédite, Elias Crespin souligne les différentes configurations géométriques du mobile : chaque fil se déploie selon la même trajectoire, se laisse aller à sa forme d’équilibre sous l’action de la pesanteur. Ce travail avec le fil permet à l’artiste d’engager un autre dialogue avec l’espace, en jouant sur les contrastes de matériaux : à la dureté et aux reflets éclatants du métal il oppose la matité de la laine dont les coloris passent subtilement du noir au bleu et au rouge. L’œuvre acquiert une dimension plus tactile et tangible, le vide est doté d’une présence à la fois plus dense et plus chargée. Pour autant, Elias Crespin ne cède en rien au spectaculaire. Dans le rythme de programmation de sa chorégraphie aérienne, il continue de privilégier la lenteur à la vitesse, invitant ainsi le spectateur à ouvrir son imagination au suspens de la mobilité visuelle et mentale.

Les créations cinétiques de l’artiste suisse Pe Lang contrôlent et activent les forces physiques avec une grande précision minimaliste, de manière à ce que chaque élément puisse être identifié dans sa fonctionnalité. Ainsi, ses « Écritures » (Random | n°1, 2019) montrent la torsion de lignes noires parallèles soumises à des forces inverses. Ces lignes, d’un aspect graphique fort, constituent par leur superposition horizontale espacée, comme une partition plastique en mouvement constant. Le regardeur est totalement hypnotisé par le spectacle des lignes qui s’enroulent, se tordent, se font et se défont à l’infini, remettant en cause l’idée du temps et de l’espace. Souvent Pe Lang introduit une dimension sonore dans ses œuvres, comme avec Untitled | nº 9 (2018), constituée de l’assemblage aérien d’une multitude de haut-parleurs. Tout en paraissant être en lévitation, ces petites capsules noires sont prises dans un mouvement d’ascension et de descente qui génère une sorte de bruissement nous invitant à sonder la présence de flux et d’énergies impalpables.

Martina Kramer, originaire de Zagreb, interroge la réalité observée en plaçant la question de la lumière naturelle au centre de sa démarche et de son œuvre, Onde Blanche. La « lumière, révélatrice de la matière », est captée par des bâtons de Plexiglas enserrés dans des boîtes qui, interférant avec les flux lumineux, produisent des effets de distorsions visuelles. L’œil du spectateur, glissant le long des surfaces transparentes et ondoyantes du prisme, voit apparaître des couleurs cachées derrière le prisme mais qui lui échappent sitôt qu’elles se manifestent. Cette expérience de déconstruction du regard accapare Martina Kramer dont le travail se concentre, avec poésie et délicatesse, sur la question des limites mouvantes, de l’interruption et de la continuité de la vision.

La sculpture cinétique Eighteen Eighteen de l’américaine Anne Lilly, propose à échelle plus modeste une réflexion sur notre perception du temps, de l’espace et de l’énergie. Fabriquée en acier inoxydable usiné, elle nécessite l’intervention de la main pour déclencher le mouvement : les tiges verticales, prises dans un processus mécanique de rotation fluide, se lancent dans une ronde totalement hypnotique. L’œuvre est en proie à des phénomènes d’expansion et de contraction qui lui confèrent une dimension organique étonnante. L’acier, matériau froid et inerte, semble se muer en un matériau vivant.

C’est la question du mouvement naturel qui retient depuis de nombreuses années le sculpteur autrichien Knopp Ferro, à travers des mobiles et des reliefs d’une grande finesse et légèreté aérienne. Comme en témoigne Colour Installation (2015), ce type de relief produit un effet très étonnant avec ses minces tiges de fer fixées parallèlement à la surface. Leurs orientations diverses créent un réseau linéaire dense, qui imprime à la surface de l’œuvre un caractère flottant et presque vibratile. L’œil, sans cesse sollicité, peine à se fixer sur un des éléments de la composition, phénomène accentué par l’utilisation contrastée du bleu (du fond) et le rouge (des tiges)

 

On trouve un écho à cette animation optique de la surface dans l’œuvre de Tony Bechara qui explore les possibilités infinies du pixel dans les deux dimensions de la peinture. Installé à New York, cet artiste d’origine portoricaine fait figure de précurseur dans l’utilisation du pixel dans l’art. Il en a eu la révélation par le biais de la mosaïque byzantine mais aussi par celui des travaux des néo-impressionnistes sur la couleur. À partir de là, Tony Bechara a créé des tableaux graphiques multicolores programmés, transformant la toile en une cartographie sismique animée, comme avec 40 Reds (2015), qui joue de contrastes chromatiques subtils entre les différentes tonalités de rouge. Face à cet agencement opticaliste de la surface, le spectateur est saisi d’un vertige optique.

Chez Ines Silva, le Plexiglass et le chromatisme alliés au mouvement donnent naissance à des interférences rythmiques colorées (Column NBA, 2019). Cette colonne de Plexiglass, qui trahit la formation d’architecte de l’artiste vénézuélienne, est structurée verticalement par des lignes de couleurs vives : son activation manuelle entraine des situations chromatiques changeantes et confère un caractère plus immatériel à l’œuvre. Qualifiée d’expansive par le critique Peran Erminy, la géométrie cinétique d’Ines Silva tient du groupe Madi, dont elle a été membre, le principe d’une œuvre manipulable et transformable. Ici, la mise en mouvement de l’œuvre intensifie son dynamisme spatial et engendre une « transmutation visuelle du monde géométrique ».

Le travail de l’italienne Emanuela Fiorelli, qui puise sa source dans les mathématiques, se concentre sur la question de tension. Géométriques et transparentes, ses créations tridimensionnelles se constituent de réseaux de fils agencés géométriquement. L’œuvre présentée ici, Installazione E-levarsi dal caos (2019), est une structure angulaire qui offre une interprétation originale des « Contre-reliefs » de Tatline : le constructiviste russe avait élaboré ce type de construction pour récuser le volume et l’inertie de la masse mais aussi pour éprouver à leur maximum la capacité de résistance des matériaux. Les formes ouvertes et transparentes d’Emanuela Fiorelli, pouvant être aussi agencées comme si elles s’entrechoquaient, cristallisent l’espace avec un dynamisme intense.

C’est à travers l’usage du néon que Gun Gordillo active le champ de perception du spectateur. Loin de l’objectivité des minimalistes, l’artiste danoise se sert de ce matériau à l’immatérialité tangible pour dessiner dans l’espace des formes irrégulières en suspension, aux déploiements sinueux, dotés d’une certaine charge expressive (Anduwa, 2012). Gun Gordillo aime relever l’énergie chaude du néon en l’associant à des matériaux froids comme l’ardoise, le granite, le plomb : « L’énergie du néon est régie par un jeu d’attraction et de répulsion avec les autres matériaux » déclare-t-elle.

La concentration sur le rapport qu’entretiennent les forces contraires est également au cœur de la démarche de Hans Kooi, qui s’intéresse à la tension existante entre les phénomènes physiques d’attraction et de répulsion, mais aussi entre nature et culture, art et technologie. On y a souvent vu l’influence exercée par le spectacle naturel des paysages fluviaux hollandais. Les sculptures d’Hans Kooi peuvent être exécutées dans un style biomorphique, propre à évoquer les formes naturelles, ou comme on le voit ici avec N° 7/2018, dans une veine plus rationnelle et construite. Cette œuvre explore l’énergie des champs magnétiques en mettant en relation deux éléments géométriques simples, dont l’un est fixé au mur, et l’autre se présente orienté à l’oblique dans l’espace, sans aucun point d’attache. Le vide spatial et énigmatique existant entre ces deux éléments correspond à la zone de magnétisme, celle où la matière est présente mais invisible.

Cette mise en scène du vide se retrouve dans les interventions spatiales du coréen Jong Oh (Line sculpture (Column) #8, 2019). Minimales, ses réalisations qui s’inscrivent dans l’héritage du travail de Fred Sandback, résultent de l’agencement dans l’espace de lignes tendues de façon à créer des volumes géométriques virtuels. N’existant toujours qu’à partir de leur seule matérialité, les œuvres de Jong Ho exploitent la capacité du spectateur à reconstruire mentalement des formes géométriques se situant
à la lisière de la perception.


On reste dans l’imperceptible avec les reliefs blancs d’Anne Blanchet qui nous plongent dans un monde silencieux. Cette artiste suisse, pour qui l’art conceptuel et minimal ont constitué une véritable source d’inspiration, crée des œuvres remarquables d’ascèse et de pureté : la surface du tableau, à la fois transparente et opaque, est animée par les effets de la lumière qui se posent délicatement sur les formes finement incisées dans le Plexiglass (CCCCLXXXVII, 2019). Ici, leurs orientations à l’oblique désignent des lignes de fuite qui suggèrent l’idée d’une continuité de l’œuvre à l’infini. Cette œuvre qui tend vers l’essentiel, à l’esthétique fluide et vibrante, suscite un émerveillement contemplatif.

Proposant une série d’expériences spatiales et rétiniennes, les artistes de l’exposition « Espace et Tension » invitent le spectateur à avoir une conscience plus vive de l’espace. Lieu de manifestation de phénomènes réels ou artificiels, leurs œuvres instaurent un nouveau rapport au monde et à l’espace-temps. Cristallisant notre imaginaire, elles nous emmènent, avec leur part de mystère et de poésie, loin du monde des apparences, vers l’imperceptible.

 

Domitille d’Orgeval

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